Acid
Nous n'allions pas très bien , le fric partait doucement mais sûrement et il allait falloir changer notre fusil d'épaule.
Le temps de la gloriole était maintenant achevé et il fallait vite trouver une autre façon de vivre.
Au début, je vendais des programmes pirates sur Minitel.
J'allais sur les serveurs musicaux comme celui de Keyboard et proposait à tout nouvel arrivant un Cubase , version II entiérement craqué.
Les gens venaient à la maison et je leur faisait la démo.
Ils repartaient avec leur disquette contre un billet de 500 balles, jusqu'à ce qu'un jour Buzy , que j'avais rencontré bien avant en promo me fasse comprendre que je ne pouvais pas continuer ainsi.
Du coup ,le tourneur qui nous avait fait faire tant de galas dans toute la France me proposa une place de DJ dans une boite à Paris.
Il me dit :
- " Tu vas voir, les patrons sont sympas mais la boite
est un peu bizarre "
Comme j'avais maintenant besoin d'argent à nouveau ,le premier job qui se présentait était le bon et j'allais un après midi voir mes futurs employeurs.
C'était un couple charmant constitué d’un homme proche de la soixantaine ,fumeur de Gitanes Maïs qui lui laissaient des maques de nicotine sur sa barbe grise , et de son ami qui devait avoisiner les 40 balais et qui faisait ancien gigolo. Ils me prévinrent tout de suite de la teneur de leur clientèle qui était exclusivement constituée de mecs et de la présence d'un Back room ou chacun pouvait laisser libre cours à son imagination.
C'était la première fois que j'étais en " direct live" au beau milieu du milieu pédé parisien et, à priori, je m'en foutais vraiment de savoir ce que la clientèle faisait de son cul.
Dès le premier soir la surprise , cependant , fut de taille . Je commençais un mercredi sans avoir touché les platines depuis ma prime jeunesse et mes seuls souvenirs devaient me suffire.
Pas le temps de préparer quoique ce soit et de regarder les disques présents mais je comptai sur les habitudes des clients pour me guider et voir ce qui allait se passer.
Dès vingt deux heures, une horde furieuse envahit la cave voûtée qui constituait le sous sol de l'établissement.
Au rez de chaussée, on trouvait un bar devant lequel des couples se liaient et où passaient en permanence des films pornos américains.
Les plus exigeants, musicalement parlant, venaient me trouver derrière la grille en fer forgé ou j'étais tapis dans une pénombre dont je n'avais pas compris l'utilité de prime abord.
Ils me demandaient des trucs dont j'ignorai l'existence mais je leur assurai, en notant précieusement les indications et les titres, que je ne manquerai pas d'avoir tout cela pour la semaine suivante.
Les enchaînements, s'ils étaient assez médiocres au début, devinrent de plus en plus limpides et je me retrouvai au bout d'une semaine à mixer trois disques en même temps pour le plus grand bonheur des aficionados dont certains devinrent très fiers d'avoir le mec de " De luxe " comme Dj
Tout était possible pour la population bigarrée qui traînait là.
L'un d'entre eux, Popeye, arrivait des l'ouverture en vélo après avoir traversé le Marais uniquement vêtu d'un string et d'un Robert qui aurait à peine pu habiller un gamin de 1o ans.
Des qu'il arrivait au BH (c'était le nom de l'endroit), il allait au vestiaire et se débarrassait de ses vêtements en exigeant un ticket. Ses effets étaient mis sur cintre et il s'en allait vagnauder dans l'établissement avec comme seul équipage, une paire de tongs et un élastique autour du bras qui maintenait le précieux briquet qui lui servait à allumer sa pipe qu'il tenait comme le héros de BD qui lui avait donné son surnom.
Et surtout, il portait le même chapeau que son idole.
Il faisait accessoirement quelques pipes, des vraies cette fois, de ci de là mais venait surtout pour se fendre la tronche avec ses potes au bar en tenue de super héros mais dont les Spinachs auraient été transformés en Poppers.
Un autre, qui n'avait pas de surnom, arrivait tout droit du boulot en costard cravate et dès son entrée mettait des genouillères pour faire du patin à roulettes sur son beau costume afin de ne pas le salir et allait proposer ses services buccaux à qui voulait.
Il pouvait ainsi écumer une bonne dizaine des clients du lieu par soir, s'arrêtant de temps en temps pour aller se rafraîchir au bar et parler de la pluie et du beau temps.
D'autres étaient plus sobres et venaient là pour rencontrer un mec pour la soirée .
Ce qui me surprit le plus au début était la fougue que certains montraient au moment de la rencontre.
Ils s'embrassaient comme si la passion venait de les frapper pour finir au back room et ne plus se parler pendant le reste de la soirée.
Certains se faisaient enfiler à la file indienne .
Ils se mettaient à trois devant ma grille , me bouchant par leur présence toute possibilité de voir la piste et se faisaient enculer à tour de rôle par le même mec en me regardant avec des yeux extatiques.
J'ai toujours pensé que ma position de Dj hétéro les faisaient fantasmer même si certains me le reprochait quelques fois :
-" mais qu'est ce que tu fous là , si t'es hétéro ?"
Et moi de leur expliquer que je faisais mon boulot et que ma condition sexuelle était la mienne et qu'il fallait qu'il la respecte comme je respectai la leur.
L'entrée de ce bouge était fixée à 20 francs en semaine et lorsque je m'étonnai du prix pratiqué pres de la direction, on me rétorqua :
- " c'est pour les clochards , ils peuvent rentrer et passer la nuit là "
En effet , certains d'entre eux venaient en fin de nuit pour finir la soirée et accessoirement servaient de vide couilles aux plus malchanceux qui n'avaient pas trouvé l'amour.
On pouvait ainsi voir les plus laids essayant d'amadouer les plus sales en espérant qu'ils auraient au moins la possibilité de se faire sucer contre un verre ou un petit billet.
Des quatre heures du matin , la musique ne servait plus à rien , si ce n'est le Week end.
La ronde infernale commençait car il leur fallait repartir le bas ventre libéré. Autour des colonnes qui bordaient la piste ,juste en face de ma cabine de grilles , les laissés pour compte de la nuit se regardaient en chien de faïence. Chacun observait l'autre pour savoir qui saurait répondre à l'appel de la chair.
Car c'était bien de chair dont il était question.
Et de rien d'autre.
Je suis allé voir le Back Room deux fois en tout et pour tout durant les deux années ou je suis resté là.
La première fois pour voir et la deuxième pour prévenir d'une décente de police à l'époque ou le préfet de Paris voulait casser du pédé.
La première fois (dans les premiers jours) ou je pénétrai dans cette pièce exiguë et ou seule une lumière extrêmement discrète entretenait savamment une pénombre calculée , j'entrevis des queues, des bouches sur celles ci , des culs ouverts réclamants n'importe quelle présence.
C'était comme une giga partouze ou on ne trouvait que des mecs en cuir ou à poil dont les corps s'activaient , totalement insensibles à ma présence ou à celle de quiconque et qui changeait de partenaire sous les regards amusés de ceux qui avaient une tête en mouvement sous la ceinture.
Je savais maintenant parfaitement ou j'étais.
J'étais dans un bordel , tel que celui que la mère du taulier avait tenu jusqu'à la fin de la guerre (c'est ce qu'il me raconta un jour) et dont il avait hérité ainsi que de tout l'immeuble et de deux ou trois autres boutiques aux alentours.
Elle avait accueilli les Allemands , comme elle avait accueilli les Américains et avait vu son statut de Juif complètement ignoré avec les premiers et son état de collaboratrice oublié par les seconds . Ceci uniquement en échange des services rendus par elle et ses camarades de chambrée.
Le fils avait continué l'ºuvre et avait revu l'idée à sa manière.
La boite tournait bien.
Tous les soirs, il était assuré de ses cent personnes dont la plupart rentrait bien sagement chez eux vers trois et quatre heures.
Le Week -end, il était assuré d'avoir , facilement , trois cents mecs qui venaient s'éclater sur de l'Acid et qui hurlaient quand "Vogue" de Madonna arrivait.
Jimmy Summerville venait régulièrement danser sur la musique que je passai, ce qui était pour moi le meilleur des compliments.
Le président actuel de la plus grosse Major française passait aussi par là , bien surpris de me voir traîner là comme Dj mais comme je l'avais rencontré bien avant "De Luxe" ,avec Pâquerette, , il me connaissait un peu et ne se senti jamais en danger de Coming out forcé.
Jean Paul et Tanel étaient là de temps en temps , encore que Tanel était assez assidu de l'endroit , tout en ne pratiquant jamais quoique ce soit , préférant discuter , parfois longtemps, de ses projets de disques chez Virgin.
Il y avait pas mal de gens connus qui venaient s'éclater sur la musique et retrouver la suite d'une ambiance qu'ils avaient connu au Boy et dans ce genre d'endroit.
C'était pas le Queen, c'était plus mec, un peu comme doit l'être le Boy Zone .
On picolait pour pas cher, on était sur de se trouver quelqu'un ou un plan partouze chez un couple installé qui viendrait s'encanailler, bref , le WE c'était la fête pour les habitués.
La semaine , c'était plus glauque. La fermeture était imposée par le patron à huit heures du mat, quoiqu'il arrive.
Les derniers , partis vers cinq, me laissaient seul et de temps en temps , pendant les trois heures qui restaient, je voyais passer des zombies de la nuit qui arrivaient de Dieu sais ou pour se finir , au cas ou S>.
Des fermetures d'autres établissements débarquaient vers les sept heures et j'étais toujours content, il restait une heure à faire et ça allait danser dur.
Tous les clients se mettaient face aux murs et accessoirement à ma grille , puis sortaient de leur poche arrière une petite bouteille de Poppers et en avant la musique !
L'acid repartait à flots et tout le monde finissait sa nuit en nage. Le signal de fin , à sept heure cinquante cinq , étant " Last Dance " de Donna Summer .
Le slow, au début de la chanson cassait la musique et les deniers couple se formaient ou dansaient le simulacre d'une liaison vieille déjà d'un quart d'heure.
La disco démarrait et ils dansaient comme si leur vie en dépendait. Le break , aux trois quarts du morceau remettait le couvert du slow et recassait le rythme qui repartait dans un dernier tourbillon ou toutes les lights stroboscopaient l'endroit.
La dernière note se finissait Cut et j'allumai, d'un coup , les lumières blanches de nettoyage de la boite qui laissaient enfin voir son vrai visage de crasse et de foutre, maquillé dans la nuit.
L'équipe de nettoyage arrivait et je tendais l'énorme clé de ma cage en grilles de fer forgé à mon patron , qui était là , quoiqu'il arrive, tous les jours , du début à la fin de la soirée , sur son tabouret ,à la caisse.
L'ambiance au boulot était assez sympa et j'étais pote avec les barmen qui faisaient les memes horaires.
Je passai mes soirées , en attendant que la Faune arrive iusqu'à la fermeture, à discuter avec eux et découvrit ainsi le milieu homo parisien.
Ils étaient tous à la recherche de l'amour , du vrai mais en attendant , passaient leur temps à chercher en butinant de ci de là.
Dawid était mon Barman attitré , en ce sens qu'il travaillait à mon étage et je suivais ses aventures nombreuses et multiples qu'il me racontait avec force détails:
-" Tu vois celui là , je me le suis fait et c'est un bon coup"
-"Untel a une petite bite"
-"j'ai partouzé avec ces deux là "
Il était Séropositif et ne se souciait guère de mettre des capotes car il avait la haine d'etre plombé.
Son état passa ,à la fin de mon séjour sous sol,de "Séropo" à celui de "déclaré" mais il ne fit pas de gros efforts pour se soigner.
Il avait dix neuf ans et savait que ses jours étaient comptés.
Il nous quitta quand il ne peut plus travailler et mourut un an après mon départ.
Je savais avec qui il avait couché et ne fut pas surpris d'apprendre que certains de ses amants lui avaient emboîté le pas vers l'inconnu.
Seul , un de ses ex restait fidèle au poste et je le vois régulièrement derrière le comptoir du magasin de disque ou il travaille dans le Marais.