Relax

Relax

Ils se réveillaient vers 6 heures du matin pour réaliser une émission de milieu de matinée en fumant dès le réveil des Boyards et en s'enfilant un rail pour se mettre les idées au clair.

Je dormais avec le looser de Brest qui m'avait trouvé ce taf si formidable et nous étions le mieux possible dans les conditions qui étaient les nôtres.

Chacun écoutait les rêves des autres et tout le monde se jurait d'aider l'autre si l'occasion se présentait.

Ce brave garçon avait gardé des contacts en Bretagne et me dit un jour triomphant :

-"J'ai rendez vous avec
Mikaële ce soir, je lui parlerai de toi".

L'espoir revenait mais fut vite déçu quand de retour, il m'apprit que je n'étais plus rien pour cette étoile montante du mannequinat anglais car elle avait, semble t-il, émigré vers Londres et menait tambour battant une carrière fulgurante.

Nous ne vivions que tard le soir dans ce dortoir qu'était l'appartement des deux frangins.

Je rentrais vers une heure du matin tous les jours et me levait vers dix heures sans avoir de programme bien défini car il m'était impossible de faire de la musique sans matériel déballé.

Tout était dans une grande malle et il me semblait interminable de devoir attendre d'avoir un endroit à moi pour faire du bruit.

Je fus prié de partir au bout de deux mois car les parents des mes deux hôtes avaient décidé de refaire l'appartement qui en avait bien besoin, et je me retrouvai avec un travail mais sans toit.

Je pris donc mes biens, à savoir deux trois autres effets personnels et je laissai juste le matos que j'avais monté.

Tout ça pour me retrouver en train de squatter un appartement qui venait de brûler Rue du Bac et qui fut inoccupé pendant un mois (si ce n'est de temps en temps par quelques clochards de passage avec qui je n'eu aucun plaisir à partager en trois huit mon seul bien : le matelas.)

La cohabitation était difficile et c'est à la fin du troisième mois que j'ai enfin pu avoir ma propre location grâce à une tante qui connaissait la propriétaire et une maman qui se portait caution. Je pris possession du palais le soir même de la signature sans électricité ni chauffage mais quel pied!

De l'eau, un toit et un peu d'électricité puisée sur la prise du couloir et qui me permit de faire mon premier repas chaud personnel depuis bien longtemps.

Tout allait mieux alors, je ramenais mon matériel le lendemain et commençai sérieusement à faire de la musique.

Un pote de Brest, Eric, me rejoint dans l'aventure bien qu'il eu une situation plus enviable que la mienne.

Il était contrôleur aérien. Nous avions recruté un troisième larron qui possédait un exemplaire rarissime ramené du Japon, un synthé qui allait changer la musique : un DX7.

Cette bécane nous émerveillait, elle faisait tous les sons dont nous avions besoin : accords de flûtes comme les
Beatles dans Strawberry Field , basses comme dans les productions des Thomson Twins Sà.

Bref, nous allions devenir les maîtres du monde.

Nous commencions à avoir un set et il ne nous restait plus qu'a jouer le tout sur scène. Je me retrouvai chanteur par défaut et par ego car j'avais pris bien soin de ne plus laisser le micro et les textes à quelqu'un d'autre.

Nous avions besoin de choristes car cela se faisait beaucoup à l'époque et nous fîmes l'effort de mettre une seule annonce chez le boulanger du coin.

Deux copines répondirent à l'annonce et bien qu'elles furent les plus gentilles du monde, nous ne nous faisions pas d'illusions sur leur talent de choristes.

Elles étaient pimpantes et faisaient leurs habits de scène elles même et ce détail fit énormément dans notre volonté de les intégrer à l'histoire.

Lors de notre premier concert pour une école quelconque, le verdict du public fut immédiat mais ce furent les organisateurs qui montèrent sur scène alors que nous étions en plein milieu d'un morceau :

- Il faut arrêter!

- Mais on en a encore plein d'autres

- Non, non , il faut arrêter!

- Mais…

On nous demanda donc de quitter la scène au bout de 20 minutes après avoir vidé aux trois quarts la salle qui devait contenir 250 personnes.

Cette incompréhension du public nous détermina encore plus dans l'idée que nous avions de notre Art. Nous devions continuer !

Ce fut rapidement le cas et pour la dernière fois avec les choristes qui ne firent qu'un autre concert avec nous au
Caf Conc' , un endroit parisien ou tout le monde pouvait passer lors de concours ou le meilleur avait le droit de revenir la semaine suivante.

Le fait de gagner ce soir là nous remit du baume au cœur car nous étions enfin certains de nous.

Certes, nous fûmes éliminés la semaine suivante mais par un groupe qui nous paraissait professionnel et nous conclûmes qu'avec du travail, nous serions bientôt à niveau.

Nous avons alors enregistré des démos chez nous sur notre petit 4 pistes avec toujours le même répertoire qu'au tout début , agrémenté de "La fille de Pékin" et d'autres chansons qui nous mettaient au même niveau que des
Kas Product , Artefact et autres consorts de l'époque.

Au même moment, j'avais donné la K7 a un mec de passage qui l'avait donnée, on ne sait comment, à la "manageuse" d'Alain Chamfort.

Rendez-vous et tout ça.

Je débarque dans le bureau. Une dame fort sympathique me dit qu'Alain trouve ça bien, que naturellement, il faudra revoir certaines choses, que le texte est bien, mais qu'on pourrait faire deux, trois trucs pour rendre cela plus commercial.

Jusque là je ne voyais pas de différences majeures dans le discours par rapport aux gens que je rencontrais.

Apres tout, les démos étaient pas mal mais on savait bien qu'elles ne sonnaient pas comme un disque.

Elle papote comme ça bon an mal an sur des détails pour finir par le sempiternel :

- "Je vous rappelle des que j'ai des news"

Il ne restait plus qu'à attendre et deux semaines après, comme d'ab', je rappelais la personne pour avoir des news.

-  "Alain veut vous rencontrer, passez au bureau, c'est super" 

Au bureau , la bonne femme me dit :

- "Alain adore , il veut la chanter , pour le prochain album"

- "Il veut la chanter ?"

- "Oui, il veut la chanter"

Au ton, tout était clair, elle avait pensé au répertoire de son patron et l'idée même de produire un groupe de rigolos ne lui avait jamais effleuré l'esprit.

J'ai croisé
Chamfort des années plus tard, sur un plateau télé, sans lui parler car il avait trop de classe pour que je l'aborde et que je lui parle de la "fille de pékin"

Le groupe était à la recherche du producteur magique qui allait le mettre sur orbite.

Mes relations au magasin me permettaient de filer régulièrement des copies des démos à tous les zozos qui se présentaient en tant que producteurs pour voir si le disque de leur protégé était en place.

- "Bien sûr, je vais vous mettre votre disque en devanture"

- " Et sinon, toi, tu fais de la musique?" se croyaient ils tous obligés de répondre en matant ma dégaine .

- oui, d'ailleurs, tiens ! (on se tutoie vite entre gens du Shob)

Et là, aussitôt, je brandissais la K7 que j'avais toujours en poche.

Il leur était difficile de revenir la semaine d'après, voir si leur disque était réellement en place, sans avoir écouté les œuvres du groupe.

Comme je gérais tranquillement les 45 tours, je mettais toujours deux trois œuvres "imposées" en facing, histoire d'être de parole pendant quelques temps.

Un jour, un mec qui disait travailler chez
Polydor , revint me voir pour me dire qu'il avait filé la K7 du groupe à un pro de ses connaissances et je n'entendis plus parler de cela pendant un bon trimestre.

Je donnai ma K7 à
Lagerfeld et reçu un carton pour un défilé Chanel .

Lorsque j'arrivai là, je fus ébloui par le show car c'était quand même mon premier défilé mais je fus carrément halluciné quand je vis les mannequins stars de l'époque passer sur le Catwalk , en se dandinant sur notre musique.

Car c'était bien notre musique qui passait pour présenter les dernières créations du maître.

Je trouvai aussitôt le nouveau nom du groupe :
Goûts de luxe

Le travail nous permettait d'avoir du temps, des thunes (pas beaucoup) et un local pour travailler.

Nous avions bien progressé depuis le défilé quand Dominique, qui allait devenir notre producteur, se présenta à moi au magasin, me disant qu'il avait écouté les maquettes et que cela lui plaisait beaucoup.

Nous avions été par ailleurs contactés par
Polydor pour enregistrer d'autres démos, plus pros, mais Bertrand qui s'occupait de nous dans la maison de disques faisait savoir à tout le monde qu'il était fier de ne pas avoir signé dans l'ordre : Jeanne Mas, Vanessa Paradis et Sabine Paturel.

Nous trouvions cela formidable de ne pas avoir signé ces produits qui nous semblaient indignes d'une personne qui avait dans ses mains le destin de notre groupe.

Cependant,
Polydor ne semblait pas du même avis, surtout depuis que les trois en question étaient déjà passées par la première place du top 50 ou étaient en phase de le faire et décida de se séparer de ce directeur artistique qui n'avait, jusqu'à présent signé que sa fiancé en mettant tous les budgets sur sa protégée.

Bertrand fut donc viré et nous fîmes partie de la charrette.

Nous avions enregistré des démos qui tenaient enfin la route, en 8 pistes, et ce sont celles-ci que je donnai au producteur qui venait à nous en trouvant nos chansons formidables.

La qualité des démos finit d'asseoir sa conviction qu'il tenait "quelque chose".

- C'est vachement bien les gars, si vous voulez, on peut sortir un disque !

Entre temps, Eric, le guitariste et moi même avions décidé de nous séparer du clavier au DX7 magique car nous avions appris à nous servir de la nouvelle technologie qu'apportait le MIDI et savions mieux programmer les machines que lui.

Je crois que cela lui mis un coup au moral mais il finit par faire partie du premier groupe de Canal + et est devenu, je crois, un réalisateur confirmé (sa dernière production à l'heure actuelle étant le dernier disque de
Screaming Jay Hawkins, peu de temps avant sa mort.)

J'étais toujours avec ma petite allemande qui était étudiante et dont le père était grand reporter pour la télé allemande à Paris. Ils vivaient dans un somptueux 10 pièces avenue de la Grande Armée. Elle m'offrait le gîte, après le travail car elle avait convaincu ses parents qu'elle étudierait mieux dans une des chambres de bonnes attenantes à l'appart.

En fait, je venais la retrouver tous les soirs de sa période scolaire parisienne pour la besogner pendant des heures et pour me réveiller seul le lendemain matin. Je m'éclipsais pendant qu'elle était à l’école, de peur que ses parents ne me découvrent, ce qu'ils firent naturellement un jour ou j'étais vautré et que "belle maman" montait tranquillement pour faire le ménage.

-Mais qu'est ce que vous faisez-là ? me dit-elle dans son français bien à elle.

Difficile de lui expliquer que j'étais venu là, comme tous les soirs, pour me taper sa fille qui venait d'avoir ses 17 ans et que j'étais "l'officiel" dont elle n'avait jamais parlé .

Thania fut bien vite ramenée à l'école en Allemagne après ma première rencontre avec sa famille.

Je ne la voyais donc que les week-ends et durant les vacances que nous passions dans mon appart ou elle m'attendait pendant que j'allais travailler.

Je revis
Mikaële (la tomate) un soir ou elle était passée au magasin, ayant eu l'adresse par des amis restés en Bretagne. Elle accepta de passer un soir chez moi et je crois que je fis là tous les efforts de nettoyage qui m'étaient possibles.

J'envisageai même la location d'un magnétoscope et d'une télé afin de prouver ma réussite sociale mais le prix prohibitif des locations à l’époque, m'empêcha de montrer ô combien la société de consommation était formidable.

Il faut dire que pendant que j'étais à Champs Disques, sur les Champs Elysées certes, elle, la Tomate, on la voyait dans tout Paris en quatre par trois ventant les mérites de la Grèce et de ses paysages et la photo était bien prise sur place et non pas dans un studio parisien .

Elle resta une heure environ ou j'eus beau user de tous les stratagèmes et l'implorer, rien ne la fit rester et encore moins ne la mis dans mes bras.

Je regardai son taxi (luxe incroyable pour moi et mon salaire) s'éloigner et n'eut plus de nouvelles avant un an.

La troisième tentative de suicide de mon allemande, qui m'avait quand même avoué avoir couché avec le type qui n'avait rien signé chez
Polydor pendant mes "trois jours", me fit comprendre qu'il fallait mettre un terme à tout cela.

Je fis venir les pompiers qui rigolaient bien car elle s'était ouvert les veines avec un couteau de cuisine et mis le sang à tomber dans la cocotte minute pour ne pas tacher pour quand je rentrerai

Sa maman et tout ce petit monde partit de chez soi en m'enlevant le colis qui devenait encombrant.

J'appris par la suite qu'elle avait fait des stages en hôpital psychiatrique, qu'elle avait tenu à connaître bibliquement mon pote Bernard, qui ne s'était pas fait prier, d'autant plus qu'il venait de me présenter son ex qui allait devenir ma femme.

Notes additionnelles

Je reste persuadé que pour l’hôpital psychiatrique, je ne suis pas responsable car elle me paraissait déjà bien timbrée lorsque je la connaissais.


Bertrand Bidault de L'isle a été ingénieur du son d'Estardy ( Sardou ....) pendant longtemps

Le groupe Pro qui nous a battu était Canada qui réalisera des albums pour Goldman , ensuite

Un jour que nous faisions une tél sur la 2, le réalisateur et le caméraman n'étaient autres que les deux frangins qui m'avaient hébergé